Après la publication, sur 30 ans, de 34 ouvrages consacrés à l’anthropologie et la spiritualité chrétiennes, l’A. donne ici le point de vue orthodoxe sur le genre. Il voit la dualité sexuelle transfigurée par l’agapè chrétienne, tandis que la théorie moderne du genre confie à la liberté individuelle le soin de gérer à elle seule cette différence fondamentale qui structure notre humanité. Après l’énoncé des points de résistance qu’oppose la doctrine chrétienne à cette déconstruction libérale de la Tradition (la dualité sexuelle, la normativité de la nature, la monogamie, le refus des déviances sexuelles), l’A. déploie cette doctrine à partir de l’Écriture sainte et des Pères de l’Église (surtout grecs).

Étant donné que la division est étrangère aux attributs divins, comment comprendre que la dualité inhérente à la sexualité soit image et ressemblance du Créateur ? Pour répondre à cette question, l’A. reprend le schéma de Maxime le Confesseur : au départ, Dieu crée un homme comme logos unique de la nature humaine, puis apparaissent l’homme et la femme appelés à devenir une seule chair dans l’actuation de leurs relations mutuelles, jusqu’à ce que le Christ ressuscité transfigure le genre en abolissant la division inhérente au péché, de telle sorte qu’en Lui, il n’y ait plus ni homme, ni femme.

Mais comment rendre compte de cette unicité présente à l’origine et que l’on retrouve à la fin dans le Christ ? L’A. propose la distinction conceptuelle entre, d’une part, la sexuation, présente dès la première page de la Genèse, car « aucun Père de l’Eglise n’envisage que l’homme soit d’abord à la fois mâle et femelle » (p. 32), d’autre part la sexualité qui ne se met en œuvre qu’après le péché, avec tout le cortège des passions qu’entraînent la concupiscence et la domination. Dans cette optique, selon St Jean Chrysostome, « le mariage a été institué après le péché ancestral pour permettre la perpétuation du genre humain devenu mortel » (p. 140).

Mais, en prenant du recul par rapport à la pensée de l’A. (et des Pères qu’il cite), que penser de cette vie d’avant la faute présentée comme angélique, sans sexualité, et que reproduirait le mode non sexuel de la conception virginale du Christ (comme aussi, d’ailleurs, le mode de vie monastique) ?

Or, si l’Incarnation du Fils de Dieu vient certes purifier la chair humaine de toutes ses passions, va-t-elle aussi libérer l’homme et la femme de leur sexualité proprement dite ? Mais si Dieu, avant la chute, a béni nos premiers parents en leur disant « Soyez féconds » (Gn 1,28), était-ce pour qu’ils se multiplient comme les anges ?

Quoi qu’il en soit de la réponse à donner à cette question difficile de l’articulation entre la dualité des sexes, les passions dues au péché et l’unicité du Christ (comme de toute l’humanité), on appréciera, dans la suite de l’ouvrage, les considérations de l’A. sur les révolutions qu’a introduites le christianisme dans l’intelligence de la relation homme-femme. Finalisée par la récapitulation de toute la création dans le Christ qui n’est pas de ce monde, cette nouveauté a sans doute mis du temps à se faire reconnaître par les structures sociales qui restent bel et bien de ce monde, et donc emprisonnées dans des contraintes et des inégalités ; en tout cas, le sacrement de mariage d’une part, le monachisme d’autre part, jettent sur la relation homme-femme la lumière de la Transfiguration. Ainsi le chrétien peut-il à la fois comprendre les aspirations manifestées par la théorie existentialiste du genre dans laquelle l’être humain fait lui-même le choix de son essence en toute liberté et égalité avec autrui, mais aussi en rectifier les errements en montrant que l’origine et la fin de la dualité sexuelle se trouvent dans le mystère du Christ médiateur.

De nombreuses considérations historiques sur les rôles de pointe joués par les femmes dans la famille, dans l’Église et dans la société ainsi que des développements spirituels sur le combat des passions et des vertus donnent au lecteur de puissantes raisons d’accueillir cette transfiguration-là.

Au total, une exposition bien documentée de la pensée orthodoxe sur un sujet qui provoque de grandes turbulences dans la société actuelle.

Au passage, le catholique ne manquera pas de nuancer la position de l’A. qui évoque « l’opposition du magistère romain à toute forme de limitation des naissances » (p. 137).

Une bibliographie de treize pages, largement consacrée à la patristique, clôt l’ouvrage. — Xavier Dijon s.j.

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