Être et Grâce. Simone Weil et le christianisme

Emmanuel Gabellieri
Philosophie - Recenseur : Marie-Jeanne Coutagne

Au cœur du renouveau du « spiritualisme français », les recherches d’Emmanuel Gabellieri, spécialiste reconnu de la pensée de Simone Weil, visent à analyser le lien entre philosophie et christianisme, et à faire la proposition d’une « métaxologie »(philosophie de la médiation).

Être et Don. Simone Weil et la philosophie (2003) avait fait date en prenant en compte l’intégralité de l’œuvre weilienne sous l’angle philosophique. Être et grâce, avec lequel le précédent ouvrage fait en quelque sorte diptyque, tente d’éclairer l’œuvre de Simone Weil, sous l’angle de la foi chrétienne. Incompréhensions et objections ont accompagné la réception de la pensée weilienne en milieu chrétien, souvent en raison même de la radicalité de l’Imitatio Christi, propre au christianisme, qui oriente et unifie pourtant toute la vie de la philosophe.

L’A. entend répondre aux accusations de gnosticisme, voire de catharisme, en raison d’une approche partielle et hâtive de l’œuvre weilienne. De même les accusations de marcionisme ou d’antijudaïsme (Gabellieri préfère parler à juste titre d’anti-hébraïsme ) doivent beaucoup aux positions d’Alain (p. 67-70), professeur aimé de Simone Weil (elle s’en éloignera peu à peu) comme à l’héritage de la philosophie classique française du xviie s.

Toute l’œuvre de Weil est tendue vers une métaphysique de la nouvelle naissance, et de la reconnaissance de la beauté du monde (p. 189) comme du sens de l’art. Cette « esthétique » métaphysique et théologique, à travers de multiples médiations (metaxu) se veut ouverte à la manifestation du Verbe Logos dans la création, dans un itinéraire qui relie en profondeur Platon et révélation chrétienne. Simone Weil déploie une christologie philosophique, comme on peut en trouver chez Schelling ou Blondel, dans le sens d’une métaphysique trinitaire du Don et de la Grâce, ou, si l’on veut, de l’être comme passage : le lien entre Trinité et Croix apparaît alors comme le lieu de la miséricorde et de l’Amour salvifique (p. 171). L’Eucharistie constitue comme une clé de compréhension de toute l’œuvre en sa maturité (p. 236), puisqu’elle peut permettre de penser la vérité du don de soi, corps et âme par le travail, comme le dévouement, modèle kénotique de toute abnégation (p. 236).

Ce travail de l’A permet de clore le débat sur la question du baptême de Simone Weil, laquelle affirmait avec force ne pas être en dehors de l’Église sinon en sa définition simplement sociale (p. 240).

Simone Weil, en définitive, déploie une mystique de l’agir humain, inspiré par l’Amour, en écho à celle d’un Blondel, qui n’est, en fin de compte, pas si éloignée qu’on le croit du prophétisme de l’Ancien Testament et peut constituer l’amorce d’une philosophie du dialogue interculturel et interreligieux dont nous avons aujourd’hui tant besoin. Un livre essentiel, parfois ardu mais passionnant. — M.-J. Coutagne.

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