Zucal laisse volontiers la place aux philosophes juifs et chrétiens pour qu'ils puissent exposer leur réflexion au sujet de la prière. Sans pouvoir reprendre ici le détail des chap. dédiés à chacun des auteurs, je souhaite faire ressortir quelques lignes fortes qui se dégagent de la lecture. Il est d'abord étonnant de voir combien les auteurs, chacun à sa manière, se distancient d'une prière purement formelle faite de paroles extérieures et mesurables (Buber, p. 200-204) pour valoriser une prière qui échappe à la mainmise (Ebner, p. 225). La dynamique interpersonnelle de la parole reçue et donnée se vit essentiellement dans lagratuité (Rosenzweig, p. 33 ; Levinas, p. 47-49), dans l'attention et l'attente(Rosenzweig, p. 15s ; Simone Weil, p. 65-73 ; María Zambrano, p. 101-111), dans lesilence (Picard, p. 163-187 ; Guardini, p. 256-265). Ce sont autant de conditions de la prière authentique et par conséquent de toute authentique relation interpersonnelle. Zucal donne une attention particulière aux différents commentaires du Notre Père, en particulier celui de Weil (p. 82-96) et d'Ebner (p. 229-234). La publication se clôt non par hasard avec Guardini qui fait remonter la parole de la prière à la communion et à la communication intratrinitaires (p. 245-256).
Deux aspects moins présents chez les auteurs « dialogiques » sont introduits par deux voix féminines qui « n'appartiennent pas formellement à la galaxie de la philosophie dialogique » (p. 9) : Weil est attentive à la dimension corporelle de la prière, notamment à partir de son besoin irrésistible de se mettre à genoux à Assise en 1937 (p. 76). Zambrano, à partir de son concept de « passivité féconde », s'intéresse à la mystique et en particulier celle de Jean de la Croix, le « frère incandescent » (p. 113). Dans le chap. sur Zambrano, le plus long du livre, Zucal présente une voie qui permet de relativiser la suspicion des « dialogiques » face à la mystique entendue comme annulation de l'altérité dans la relation. À Zambrano de montrer que la mystique ne s'oppose pas au paradigme dialogique, mais au contraire manifeste ses ultimes conséquences (p. 111-162).
À la lecture s'est dégagée une question qui à mon sens mériterait un approfondissement théorique : Zucal parle d'une relation asymétrique entre l'homme et Dieu (p. 6) ou, pour le dire avec Ebner, « nous prions Dieu dans le temps, et Dieu écoute notre prière dans l'éternité » (p. 219). Que signifie cette asymétrie concrètement pour la prière ? Comment rendre compte de cette asymétrie dans ce que Rosenzweig dit de Dieu qui tente l'homme et de l'homme qui tente Dieu (p. 16-24) et ce que Levinas dit de Dieu qui souffre de notre souffrance (p. 49-51) ? - C. Betschart o.c.d.