Cette étude monumentale apparaît comme un véritable chef d'oeuvre dans le champ exégétique. Ouvrage d'une grande maturité et d'une finesse d'analyse peu commune. L'A., chercheur qualifié du FNRS, associée aux Facultés N.-D. de la Paix à Namur, est femme en tout son être, fille de Dieu par vocation accueillie en vérité, philosophe de formation, théologienne de surcroît, et la voilà hébraïsante et exégète par choix délibéré et par quête spirituelle. C'est avec tout cela qu'elle vient à Job pour l'interroger, au milieu de ses amis, dans son altercation avec Dieu. Il y a une dizaine d'années, elle achevait une thèse doctorale en philosophie sur l'altérité dans le mythe de Faust (Faust ou l'Autre en question. Dieu, la femme, le mal, et De l'«Autre». Essai de typologie, Namur, Presses Univ., 1994). C'est par ce biais qu'elle a été amenée à s'interroger sur l'espérance, ayant perçu que le désespoir ferme à l'altérité à laquelle ouvre l'espérance. Or l'humanité contemporaine est tentée par le désespoir et le dégoût de vivre. En intellectuelle croyante, l'A. a voulu réagir à cette pulsion emprisonnante et meurtrière. Il fallait un «laboratoire» pour mener une enquête sur le sujet, et quel meilleur champ d'expérience que le personnage de Job, qui se trouve dans une situation où «rien ne va plus»? Job n'est-il pas en effet le compagnon de tout humain souffrant, et malgré ses amis, ne vit-il pas secrètement une folle espérance en Dieu, en lui-même, en autrui? C'était le terrain d'application rêvé.
Tel est le point de départ de notre A. Son introduction nous dit l'énigme de ce livre biblique et en même temps nous fait part de sa méthode de travail: étudier l'espérance dans cet écrit de sagesse après en avoir établi la structure. Elle divise son étude en quatre grandes parties. C'est d'abord la sémantique de l'espérance, car «l'homme a besoin de mots pour se dire» (p. 15): catalogue des racines des verbes hébraïques et du vocabulaire qui expriment l'espérance ou son contraire. L'A. en analyse de près les lignes de force au long du livre de Job en distinguant le langage propre à chacun des intervenants, afin d'en dégager comme une grammaire philosophique à travers le désespoir et la plainte du protagoniste. La deuxième partie de l'ouvrage est consacrée à la symbolique de l'espérance. L'A. y détaille les images du livre, comme la quête (d'un trésor, de l'ombre, d'un salaire), l'attente (de la pluie, de l'eau courante), l'arbre qui revit - métaphore longuement évoquée -, les symboles minéraux, puis les expressions du désespoir (filet et mur, avortement, shéol, avec un long développement dans la Bible sur le repos, le rêve, l'espérance de Dieu). Après le déploiement du riche éventail de cette symbolique, l'A. examine la dramatique de l'espérance, c'est-à-dire le livre en tant que drame. Là encore, l'analyse se fait profonde et dense, atteignant jusqu'au coeur de l'action afin de percevoir le dynamisme interne du texte et sa manière d'agir sur son lecteur, à travers l'axe relationnel des actes de langage dans le corps poétique du livre (chap. 4 à 31), avec l'image poignante de la statue de N. Rapoport à Yad Vashém. Elle poursuit à travers l'axe du temps où se meut l'espérance surgie du désespoir: une réflexion intensément développée sur les versets significatifs de l'écrit, compte tenu de chaque «brisure du temps» déterminée par les interventions des amis de Job et de Dieu. Cette longue et significative analyse nous mène à la quatrième partie: la motivation de l'espérance, où l'A. parcourt à nouveau le livre de Job afin de marquer les étapes de sa progression et le fonctionnement de l'Écriture comme Parole de Dieu adressée personnellement, à l'instar d'une promesse. Comment Dieu est-il la raison ultime, mais aussi le risque majeur de l'espérance, à travers l'histoire sainte de la relation de l'homme, puis du lecteur, avec Dieu?
Dans une magistrale conclusion, l'A. reprend tous les fils tissés au cours de son étude, à la fois rigoureuse et d'une admirable finesse où l'on sent vibrer son âme sensible: acte d'espérance au présent, appuyé par un regard rétrospectif sur sa vie passée, avec ses déceptions et ses frustrations: discernement de l'espérance à travers des paroles désespérées. Cette conclusion s'achève par une «ouverture» sur une recherche à poursuivre dans son rapport avec l'acte d'adhésion de l'homme - acte de foi - à la révélation de Dieu. Job n'est pas juif, et pourtant c'est un Juif qui en parle. Pour signifier qu'il a quelque chose à dire de la part de Dieu à son frère sur la situation et l'évolution de l'homme à l'intérieur de son humanité façonnée et investie par Dieu: sagesse des nations où se donne à lire celle de Dieu. En filigrane de la figure de Job transparaît la silhouette de Dieu qui prend le pas de l'homme butant sur son malheur pour l'inviter et l'entraîner à s'ajuster au sien dans la démesure d'une tendresse délicate et attentive. Car le souffrant ne peut espérer en Dieu que parce que celui-ci espère follement en l'homme. Pourquoi Job peut-il espérer en Dieu, sinon parce que Lui, le premier a espéré en Job? Parce qu'il l'a façonné au ventre de sa mère et l'a fait vivant de sa vie. En se faisant l'avocat de l'espérance de Job, l'A. de ce chef-d'oeuvre manifeste sa propre tendresse, celle d'une femme: soeur ou mère?
À lire ce livre, on demeure sidéré devant la somme de travail que suppose pareil ouvrage, étayé par une bibliographie de près de 800 titres. On ne peut qu'admirer le patient labeur de l'A. qui l'a conduite avec sens spirituel affiné. 700 pages passionnantes et passionnées qui se dévorent comme un roman d'amour, avec ses déchirements, ses incompréhensions, mais aussi sa puissance dramatique et sa ferveur de vie. Un grand ouvrage, qui invite à la réflexion silencieuse et à la prière. - J. Radermakers sj

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